Pour une nouvelle écologie
Au-delà de l'écologie de la responsabilité, plaidoyer d'une écologie naturelle
La conscience planétaire de l’Humanité vit comme l’individu des étapes évolutives et des crises de croissance. L’Humanité enfant était celle des peuplades fusionnelles avec maman Terre. La conscience d’avoir une identité et une volonté propre, en tant qu’individu et en tant qu’espèce, était fort ténue, certes latente mais encore inexplorée. Ainsi à peine différentié, l’Homme était expression de la nature, trouvant sans effort ni intention consciente de sa part sa place… naturelle et organique dans les équilibres de cette dernière.
Peu à peu, il s’est toutefois extrait de cette matrice bio- logique pour se découvrir agent doué d’autonomie, comme posé là dans un environnement chargé d’ambivalence : source de nourriture et de gratifications, mais aussi de dangers variés et parfois mortels. Ce cordon ombilical rompu, la nature est devenue symbole même de l’altérité : une réalité faite de puissances semblant avoir leur propre agenda, et foncièrement indifférentes aux besoins et désirs de l’Homme. Une réalité à laquelle l’Homme s’est senti d’abord soumis, faisant autorité sur sa vie. Cela l’obligea à composer avec cet Autre aussi intimidant que nécessaire, que ce soit par des considérations pratiques (s’adapter aux saisons par exemple) ou symboliques (rituels pour satisfaire les « dieux », afin d’éviter leur courroux ou de recevoir leurs bénédictions).
Puis, l’Humanité devenant « adolescente » s’est peu à peu aguerrie. L’Homme a questionné l’autorité et la réalité de ses anciennes divinités. Il a ainsi désenchanté la nature et découvert sa propre puissance : celle que lui confère son intelligence. Les idoles détrônées, il s’est permis de toucher au « domaine des dieux ». Au lieu de composer AVEC la nature (et ses « dieux »), il a commencé à opérer SUR la nature : il a cherché à la dominer.
C’est à ce stade évolutif que nait la problématique écologique. La nature désacralisée est rapidement devenue territoire à conquérir et trésor à exploiter. Pour en profiter directement certes, mais aussi et surtout pour asseoir une supériorité confortable et gratifiante sur son prochain – fût-il un voisin, une tribu ou un empire étranger. Posséder pour jouir librement de ses biens, et pour tenir le couteau par le manche, comme le dit l’expression d’usage. Il y a ceux qui ont et ceux qui n’ont pas. Et cette conscience, cette distinction entre les êtres, motivera dorénavant les actes et marquera les destins.
Cette quête endémique de l’AVOIR ne peut qu’engendrer un climat de conflit – ouvert ou latent – entre les individus comme entre les peuples. Dans ce contexte tendu où les plus malins et les plus alertes sont gagnants, la considération pour l’Autre – qu’il soit frère humain ou nature dans son ensemble prend la dernière place. C’est le règne du chacun pour soi et les siens. Dans le pire des cas, il se traduit par l’irrespect, l’injustice et la violence ; dans le meilleur par des règles collectives plus ou moins équitables, dans lesquels chacun s’y retrouve suffisamment pour ne pas se rebeller.
Mais ces règles ont jusqu’à peu négligé les acteurs qui ne pouvaient directement défendre leur bon droit : les générations futures et la nature. Il a fallu un sursaut de conscience digne d’être salué pour que les nations admettent – même timidement encore – la légitimité d’inclure ces « absents » dans leurs agendas et négociations. Le développement durable est né. L’Homme devient (un peu plus) responsable, et intègre (plus ou moins sincèrement) à sa société une dimension éthique qui lui faisant défaut. Cette éthique-là est le fondement de l’écologie moderne, dans ce qu’elle a de meilleur. Elle représente un principe de responsabilité face aux grands perdants d’un consumérisme devenu, soit-disant, « économiquement nécessaire ». Elle se traduit par un élan vers plus de sobriété et le remplacement des technologies polluantes par des substituts « durables ».
Cette écologie-là est plus noble que le simple instinct de survie qui inviterait à arrêter de déféquer dans sa source d’eau potable, une fois informé de la conséquence de cet acte. Elle regarde au-delà des intérêts purement personnels et traduit une conscience citoyenne globalisée, planétaire, sensible au Bien de tous.
Malheureusement, cette conscience est encore marginale. Aussi, elle est bien souvent caricaturée, se transformant en « mauvaise conscience » : la responsabilité est alors remplacée par une culpabilité individuelle et collective, et la sobriété est vue – et vécue par ceux qui la choisissent - comme castration du désir. Ainsi, la société serait prise entre son désir de « toujours plus » et des contraintes planétaires qui bien malgré lui l’obligeraient à refreiner ses ardeurs.. Situation paradoxale, où la « nature humaine » semble entrer en conflit avec celle dont il est issu..
Le résultat est sans appel et se reflète dans les opinions politiques : l’écologie devient l’alliée de la solidarité pour tempérer une société d’individus centrés sur leur intérêt propre… La politique se fait révélatrice des tensions qui habitent l’Homme, entre ce qu’il veut et ce qui est « bien », entre ce auquel il aspire et ce qu’il « devrait faire ou ne pas faire » … Le Bien des autres appellerait au sacrifice de notre confort et à la modération de nos plaisirs. Un antagonisme mal vécu par beaucoup, autant du côté des tenants d’une autodiscipline plus ou moins ascétique que de celui des « rebelles » qui rationnalisent plus ou moins adroitement leurs choix de mettre leur bonheur avant d’autres considérations..
Cet antagonisme explique la résistance sociale et politique aux mesures écologiques - et donc la lenteur des réformes qui s’imposent... Se soucier de la nature semble coûter cher à la société.
Pourtant, nous prétendons qu’il existe une autre voie, une autre vision de l’écologie qui viendrait donner un bol d’air frais à tous, en réconciliant l’Homme et la nature.
Cette voie d’une grande beauté exige toutefois une métamorphose profonde dans la psyché collective de l’Humanité. Pourtant, et là est sa force autant que sa beauté, elle ne demande pas à l’Homme de changer. Mais elle lui demande de changer radicalement de REGARD, à commencer par celui qu’il pose sur lui-même.
Rappelons-nous : après tout, ce qui a fait « chuter » l’Homme de son paradis terrestre a été lui-aussi un changement de regard. Il s’est vu « autre » que « cela », séparé de cette nature-matrice originelle. Les conséquences ont été immenses. Ce simple changement de perspective a permis à la fois l’essor des civilisations et l’aliénation de l’Homme au sens propre du terme : nous sommes devenus des étrangers – étrangers à la nature et, ipso facto, à notre propre nature.
Ainsi, dans toutes les aspirations humaines, s’est cachée la quête lancinante et obsédante de ce paradis perdu, nostalgie de ces temps anciens où nous baignions encore dans le confort spirituel d’une relation fusionnelle à la nature.
- Alors quoi ? Est-ce cela la voie royale que vous préconisez ? Redevenir d’heureux sauvages ?
- Non, clairement. L’Homme est une flèche tendue vers un horizon illimité ; il aspire autant à l’exaltation des paysages inexplorés qu’à la paix intérieure des douillettes origines. Il peut certes ressentir quelque nostalgie de paradis perdus, mais il est inexorablement poussé à se chercher dans une perpétuelle transcendance. Sa nature est expansive (comme l’Univers ?), et l’attachement fort au principe économique de « croissance » n’est pas étranger à cette impulsion primordiale. C’est pourquoi l’idée de décroissance, prônée par certains écologistes non sans quelque fondement, est si peu populaire. Car elle a un goût de contraction, quelque chose d’intimement opposé à l’aspiration humaine à la vastitude et au perpétuel dépassement. Le besoin de « toujours plus » n’est ainsi qu’un reflet pathologique de cet élan naturel. Pathologique oui, car il aliène l’Homme au lieu de l’accomplir. L’Homme est fait pour croître en CONSCIENCE, pas en PIB par tête d’habitant ! Le besoin d’AVOIR toujours plus n’est donc qu’une perversion de ce principe de dépassement de soi et de transcendance, une confusion entre l’expansion de l’âme et celle du porte-monnaie. Ce qui accomplit l’Homme, c’est un surplus de sens et de beauté qu’offre une vie consacrée à une noble cause qui touche sa sensibilité. Le « toujours plus » consumériste laisse derrière lui un Homme blasé, insensibilisé, froid, hautain… et insatiable. Son cœur est flétri et barricadé, sa joie limitée à des gratifications sensorielles de moins en moins stimulantes et à l’autosatisfaction mesquine de celui qui a atteint ce qui est convoité par les moins fortunés.
Ainsi, cette « nouvelle écologie » se devra de dépasser l’antagonisme apparent entre une nature humaine qui aspire à toujours croître et les limites physiques et écologiques d’une planète finie.
Ce nouveau regard auquel l’Homme est appelé permettra précisément cela. Car il résultera de la réalisation intérieure que l’Homme, tout individualisé qu’il puisse être devenu, ne s’est jamais séparé de la nature autrement qu’en imagination. Cette rupture n’a été qu’apparente – une illusion d’optique engendrée par le déploiement de l’intellect qui facilita par ailleurs le développement de ce dernier. Toute illusoire qu’elle puisse être, cette croyance dans la séparation n’a pas été sans effet tangible : elle a encouragé des choix qui la reflètent et produit des expériences qui la justifiaient. Ainsi, la perception a renforcé la croyance qui la causait rendant la sortie de ce cercle vicieux d’autant plus difficile.
Aujourd’hui, l’Homme est invité à ce sursaut de lucidité qui lui permettra de sortir de ce cercle : en réalisant consciemment qu’il n’est autre que la nature qui est tout être et tout élan vital, fussent-ils affublé d’une conscience individualisée et élaborée. Après l’unité inconsciente des origines (enfance de l’Humanité) et la séparation illusoire mais pédagogique de la conscience de soi (adolescence), après la phase de responsabilisation (égard au non-soi, entrée dans l’âge adulte), l’Homme est appelé à la lucidité libératrice de l’âge de la sagesse, où se révèle à lui l’unicité insécable d’une nature se déployant pourtant en une infinité d’individuations complémentaires. Ainsi, l’impulsion de l’Homme n’est autre que celle de la nature. Il n’y a donc pas de conflit possible lorsque cette impulsion est reconnue dans sa vérité. Nous n’avons donc pas à lutter contre notre nature pour sauvegarder la nature, une pensée absurde mais inévitable lorsqu’on se perçoit comme séparé de ce qui nous entoure. Nous pouvons au contraire nous détendre et nous faire confiance, faire confiance à notre désir naturel – puisqu’il est celui de la nature dans l’Homme, l’expression de Son aspiration et de Son besoin à travers lui. L’Homme retrouve ainsi sa place dans l’écosystème planétaire, non pas par un effort d’adéquation, mais en cessant de créer artificiellement l’inadéquation, par des actes reflétant sa croyance dans la séparation.
L’invitation concrète de cette « nouvelle écologie » est premièrement de jouer avec cette idée que je suis, tu es, nous sommes habité(s) par les impulsions de la nature pour la nature. Prendre simplement quelque temps pour considérer cette idée et ses immenses implications. Faire cela se traduit notamment par un non-jugement de soi et de l’être humain en général. Elle anéantit l’idée névrotique que l’Homme est mauvais, de fait la seule créature qui détruit la planète. L’Homme « détruit la planète » non parce qu’il est intrinsèquement mauvais, mais parce que le déploiement de son potentiel intellectuel s’est traduit « temporairement » par la création imaginaire d’une identité et d’une volonté séparée, source de désordres sociaux et écologiques. Cet essor de l’intellect qui a abouti dans un raffinement extrême du sens de l’individualité a fait partie d’un processus évolutif à la fois douloureux et extraordinaire. Or, celui-ci s’est manifesté hors de toute intention consciente de l’être humain en devenir : il est « simplement » l’une des multiples expressions de l’impulsion vitale.
Il est fort intéressant de développer sur les impacts qu’aura ce nouveau regard, et le non-jugement de soi qu’il engendre. En retrouvant ma légitimité naturelle au sein de l’expérience globale du vivant - en tant qu’expression naturelle de la vie et de la nature, je commence à ressentir intimement que je suis habité par la vie de la nature. En apprenant à ne plus juger cette vie qui m’habite, en apprenant à la respecter en moi, j’apprends ipso facto à l’honorer autour de moi : je perçois intuitivement que c’est cette même vie qui habite tout être et qu’il fait partie de cette même nature. Or, nul besoin d’autre chose que cette connexion intime et respectueuse envers la vie pour réorienter l’être humain et ses choix, vers ce qui est bénéfique à cette vitalité omniprésente sur notre planète. Toute idée de sacrifice et même de devoir sont dissoutes, et remplacée par un élan spontané de prendre soin et de protéger ce qui est reconnu, en soi et autour de soi, comme précieux voire sacré.
Comment concrètement y parvenir ? Il est intéressant et fort utile de remarquer que si ce nouveau regard dissout le jugement de soi, l’inverse est aussi vrai : le non-jugement ouvre sur ce nouveau regard. Or, il peut être plus aisé pour beaucoup de commencer par pratiquer ce non-jugement plutôt que d’intégrer directement la vision et compréhension que je suis la nature en devenir d’elle-même, tout habité d’elle et de sa vitalité. Or, le non-jugement peut aussi être facilité par un choix de bienveillance envers soi et les autres, lui-même facilité par un regard de compassion (en voyant la souffrance qui cause certains comportements). De fait, tous ces mots sont autant de facettes du vrai amour et chacune peut être porte d’entrée vers cette nouvelle communion avec le vivant.
Cette nouvelle écologie sera donc écologie naturelle car spontanée. Elle s’imposera de l’intérieur, répondant à un appel de la vie en soi. Elle ne sera ni morale (au sens de devoir) ni même éthique (au sens de responsabilité) : elle sera l’une des expressions heureuses de l'amour de la vie qui nous habite et nous entoure.
Yogendran - Novembre 2015
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